Comme l’a dit le professeur Meissa Diakhaté, «Sur le plan fonctionnel, le Gouvernement est chargé de la conduite et de la coordination de la politique de la Nation sous la direction d’un Premier ministre qui (…) est détenteur d’une autorité nécessaire ».
Après le décret fixant la composition du Gouvernement puis celui portant répartition des services de l’Etat entre les ministères, les compétences respectives des ministres et secrétaires d’Etat sont définies par un décret d’attributions. L’article 49 alinéa 2 de l’actuelle Constitution indique que sur proposition du Premier ministre, le Président de la République fixe les attributions des ministres et secrétaires d’Etat.
On remarque que le premier article des décrets relatifs aux attributions des ministres signés par le nouveau Gouvernement indique que l’exercice des compétences ministérielles est placé «sous l’autorité du Premier ministre». Cette expression a été contestée dans la mesure où il a semblé à certains qu’elle n’est pas conforme à la Constitution en vigueur. Dans un article publié le vendredi 19 avril 2024 par Dakaractu sous le titre «Alerte, le Sénégal aurait-il basculé vers un régime parlementaire ?», un citoyen expose son «inquiétude quant à la conformité à la loi et la constitution des récents décrets portant attribution des ministres». Selon lui, «l’article premier (de ces décrets) place les ministres sous l’autorité du premier ministre et non, comme cela était de coutume sous l’autorité du Président de la République».
L’expression «sous l’autorité du Premier ministre» est utilisée depuis 1993
Après le décret n° 93- 720 du 2 juin 1993 portant nomination des membres du Gouvernement du Président Abdou Diouf et le décret n° 93-723 du 7 juin 1993 portant répartition des services de l’Etat, le périmètre des attributions de chaque membre du Gouvernent avait été défini par un décret d’attributions dont l’article premier comportait l’expression «sous l’autorité du Premier ministre». (Cf. décrets n° 93-724 à 93- 747 en date du 7 juin 1993 publiés au Journal officiel n° 5526 du 12 juin 1993).
La même expression est également utilisée dans les décrets d’attributions pris sur la période 2001 à 2019
En effet, on retrouve cette expression dans les décrets d’attributions signés par les Présidents Wade et Sall jusqu’à la date de suppression du poste de Premier ministre en 2019 (Voir, entre autres, le décret n° 2004 -574 du 30 avril 2004 relatif aux attributions du ministre de l’Économie et des Finances et le décret n° 2019-783 du 17 avril 2019 relatif aux attributions du ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération).
Avec la suppression du poste de Premier ministre en 2019, l’expression «sous l’autorité du Premier ministre» fut remplacée par l’expression «sous l’autorité du Président de la République»
L’article 50 de la Constitution, issu de la loi constitutionnelle n° 2019- 10 du 14 mai 2019, conférait au Président de la République le pouvoir règlementaire et la disposition de l’administration. L’article 54 du même texte constitutionnel ajoutait : «Le Gouvernement conduit et coordonne la politique de la Nation «sous la direction du Président de la République». Sur le fondement de ces dispositions constitutionnelles, les membres du Gouvernement accomplissaient leur mission sous l’autorité du Président de la République d’où l’utilisation de l’expression «sous l’autorité du Président de la République» dans les décrets d’attributions pris après le 14 mai 2019 (voir le décret n° 2019-957 du 29 mai 2019 relatif aux attributions du ministre de l’Economie et du Budget). En résumé, l’expression «sous l’autorité du Président de la République» avait été utilisée durant la période concernée parce que le Président de la République était à la fois chef de l’Etat et chef de Gouvernement.
Le poste de Premier ministre réinstauré en décembre 2021, l’expression «sous l’autorité du Premier ministre» est de nouveau utilisée dans les décrets d’attributions
L’article 53 alinéa 2 de la Constitution en vigueur, dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle n° 2021-41 du 20 décembre 2021, énonce : «le Gouvernement conduit et coordonne la politique de la Nation sous la direction du Premier ministre». En application de cette disposition, l’expression «sous l’autorité du Premier ministre» est de nouveau employée dans les décrets d’attributions depuis 2022 (Voir le décret n° 2022-1788 du 26 septembre 2022 relatif aux attributions du ministre des Finances et du Budget).
Les projets des ministres sont préparés, par définition, sous l’autorité du chef du Gouvernement
A notre avis, en plaçant l’exercice des compétences ministérielles sous l’autorité du Premier ministre, le décret d’attributions ne fait que tirer la conséquence logique de l’application de l’article 53 alinéa 2 de l’actuelle Constitution qui indique : 1°/ «Le Gouvernement conduit et coordonne la politique de la Nation sous la direction du Premier ministre» ; 2°/ «(Le Gouvernement) est responsable devant le Président de la République …». De ce point de vue, il revient au Premier ministre de rendre des comptes au chef de l’Etat.
En définitive, comme l’a dit le professeur Meissa Diakhaté, «Sur le plan fonctionnel, le Gouvernement est chargé de la conduite et de la coordination de la politique de la Nation sous la direction d’un Premier ministre qui (…) est détenteur d’une autorité nécessaire à ses fonctions».
Selon Dominique Chagnollaud, «l’autorité qu’il exerce sur les ministres est politique et non juridique, mais elle l’autorise à coordonner, par voie de circulaire, la méthode et le rythme de travail gouvernemental et surtout à arbitrer entre les ministres en cas de conflits ou surtout lors de la mise au point du projet de loi de finances».
Mamadou Abdoulaye SOW
Inspecteur principal du Trésor à la retraite